samedi 20 janvier 2018

Le PAPE DICTATEUR par Marc-Antoine Colonna -11-

Évêque et archevêque
 
     
Après six ans comme Provincial, le Père Bergoglio fut nommé recteur du séminaire philosophique et théologique, qui, comme nous l’avons déjà dit, était alors plein d’étudiants, et dont le nombre a doublé sous son règne. Mais les radicaux le haïssaient, en partie pour ses antécédents provinciaux et en partie pour son style religieux, qui était de souligner la valeur de la religion "populaire" et d’encourager les dévotions comme la vénération des images, que les intellectuels marxistes considéraient avec mépris. En 1986, un nouveau Provincial argentin fut nommé, qui fut un retour au régime O’Farrell du début des années soixante-dix ; les vocations chutèrent une fois de plus et, comme pour le Père Bergoglio, ses jours d’autorité furent comptés. Il a été envoyé en Allemagne, ostensiblement pour travailler pour un doctorat sur le philosophe catholique Romano Guardini, mais cela n’a jamais été achevé. À la fin de l’année, Bergoglio est retourné en Argentine, sans se préoccuper d’obtenir la permission, un acte qui fut cause d’être accusé plus tard de désobéissance par le Général des Jésuites. Il a enseigné la théologie à Buenos Aires pendant une courte période, mais il a été un homme remarqué par les responsables de la Province d’Argentine ; en 1990, il a été banni dans un poste obscur dans une ville provinciale.

      En termes mondains, la carrière du Père Bergoglio semblait terminée, et il passa deux ans dans une véritable détresse ; mais la Compagnie de Jésus et son aile gauche n’étaient pas toute l’Église. Bergoglio a été sauvé de son exil par le nouvel Archevêque de Buenos Aires, le Cardinal Quarracino, qui était un ecclésiastique d’une autre école. Comme Bergoglio, Quarracino était un homme du peuple ; en tant que disciple de Jean-Paul II, il a sans doute sympathisé avec l’action de ce Pape en 1981 quand, dans une intervention sans précédent, il avait destitué le Père Arrupe en tant que Général des Jésuites et tenté de conduire la Société dans une voie moins destructrice. Le nouveau Général, élu en 1983, était le Père Peter Kolvenbach, qui n’a en fait que peu changé de politique. En 1991, le Cardinal Quarracino a offert de faire du Père Bergoglio un évêque auxiliaire à Buenos Aires, et nous devons nous rendre compte à quel point cette proposition était exceptionnelle. Traditionnellement, les Jésuites ne sont pas autorisés à accepter des nominations épiscopales, et, sauf en ce qui concerne les missions, un évêque jésuite dans la hiérarchie latino-américaine n’a été presque jamais vu, mais par une telle promotion Bergoglio serait libéré du commandement de la structure jésuite et entrerait dans une autre structure où sa propre ligne religieuse a été plus acceptée.

      Comme le Père Bergoglio, en tant que Jésuite, aurait besoin d’une dispense pour être nommé, il était nécessaire d’obtenir un r
apport de son ordre, pour lequel le cardinal Quarracino s’était porté garant en 1991. Il a été fourni par le Général des Jésuites, et il représente l’étude de caractère la plus accablante de Jorge Bergoglio composée par n’importe qui avant son élection comme Pape. Le texte du rapport n’a jamais été rendu public, mais le récit suivant est donné par un prêtre qui y a eu accès avant sa disparition des archives jésuites : Le père Kolvenbach accusait Bergoglio d’une série de défauts, allant de l’usage du langage vulgaire à la déviance, de la désobéissance dissimulée sous le masque de l’humilité et du manque d’équilibre psychologique ; en vue de son aptitude comme futur évêque, le rapport soulignait qu’il avait été une figure de division en tant que Provincial de son propre ordre. Il n’est pas surprenant qu’en étant élu Pape, François se soit efforcé de mettre la main sur les copies existantes du document, et l’original déposé dans les archives officielles des Jésuites à Rome a disparu. En ce qui concerne l’équité du rapport, nous devrions admettre l’hostilité des Jésuites qui étaient au pouvoir en Argentine à l’époque, mais en réalité, Bergoglio avait exagéré cela au point de se faire passer pour un martyr auprès du Cardinal Quarracino (le fait que le Père Kolvenbach avait peut-être en tête lorsqu’il a parlé de désobéissance sous un masque d’humilité). Le rapport Kolvenbach ne peut guère être considéré comme la représentation d’un religieux modèle par son supérieur.

      Le Cardinal Quarracino, cependant, était déterminé à avoir Bergoglio comme évêque et, bien qu’il ait eu une audience spéciale avec le Pape Jean-Paul II, il a obtenu plein succès. En 1992, le Père Bergoglio fut nommé comme l’un des évêques auxiliaires de Buenos Aires. Dans cette fonction, il suivit la ligne de son Archevêque, considéré comme étant à droite de l’Église, dans le style populiste de Jean-Paul II. La nouvelle carrière hiérarchique que l’intervention de Quarracino lui avait ouverte ne tarde pas à s’épanouir. En 1997, Mgr Bergoglio reçut le droit de succession et l’année suivante, à la mort du Cardinal Quarracino, il devint Archevêque de Buenos Aires ; sa nomination fut alors bien accueillie dans les secteurs conservateurs. En février 2001, il a reçu le chapeau du cardinal de Jean-Paul II.

      Le Cardinal Bergoglio devint ainsi le plus éminent ecclésiastique d’Argentine, et il ne manque pas de comptes rendus de lui, vu à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église. Peut-être l’étude la plus pénétrante de sa personnalité fut celle publiée par Omar Bello,
El verdadero Francisco ("Le vrai François"), quelques mois après son élection comme Pape. Il convient de mentionner que ce livre a disparu des librairies avec une rapidité inexplicable et qu’il est aujourd’hui introuvable, un sort subi par d’autres publications qui n’étaient pas favorables au Pape François. Omar Bello était un cadre des relations publiques qui, en 2005, a été engagé pour lancer une nouvelle chaîne de télévision de l’Église que le Président Menem avait fait don à l’archidiocèse de Buenos Aires, et pendant huit ans, il devait travailler pour l’Archevêque et apprendre à le connaître. En tant que professionnel sur le terrain, Bello a rapidement détecté chez le Cardinal Bergoglio un promoteur accompli, déguisé derrière une image de simplicité et d’austérité. Bello s’est déplacé dans les cercles du personnel archiépiscopal et a pu entendre les nombreuses histoires qui circulaient sur leur énigmatique supérieur.

      Le plus connu d’entre eux est sans doute celui de Félix Bottazzi, employé dont l’Archevêque a décidé un jour de se passer, et il a arrangé son licenciement sans montrer ses mains
(33). Une fois sorti de la Curie, M. Bottezzi a cherché à s’entretenir avec le Cardinal Bergoglio, qui l’a reçu avec une sympathie amicale : « Mais je n’en savais rien, mon fils. Tu me surprends... Pourquoi ils t’ont viré ? Qui l’a fait ? » M. Bottazzi n’a pas retrouvé son emploi, mais Bergoglio lui a présenté une nouvelle voiture, et il est parti convaincu que le Cardinal était un saint, poussé par des forces hors de son contrôle et dominé par un cercle de subordonnés malveillants.

      D’après la description de Bello, cette façon de traiter avec les gens peut avoir été aussi capricieuse que politique ; il cite le récit d’un prêtre qui travaillait pour Bergoglio et pensait que c’était son ami : « Il m’a manipulé pendant des années... Le gars te manipule avec les affections. Tu penses que c’est ton père et qu’il te suit. » (34) Dans ce cas, il n’y avait pas d’utilité pratique apparente dans le procédé utilisé.

      Aussi bien connu est l’histoire d’un psychiatre à Buenos Aires qui se spécialise dans le traitement des membres du clergé. Parmi ses patients se trouvaient plusieurs prêtres de l’équipe archiépiscopale, qui venaient à lui épuisés par leur supérieur qui les "faisait danser". Après avoir écouté leurs problèmes, le psychiatre a dit à l’un d’eux : « Je ne peux pas te soigner. Pour résoudre vos problèmes, je devrais traiter votre Archevêque. »

      Le professeur Lucrecia Rego de Planas, qui a connu personnellement le Cardinal Bergoglio pendant des années, est un autre écrivain qui éclaire le sujet ; le 23 septembre 2013, elle publie une "Lettre au Pape François"
(35). Elle décrivit avec perplexité l’habitude de Bergoglio d’être apparemment du côté de tout le monde successivement « ... un jour, discutant avec fougue avec Mgr Duarte et Mgr Aguer [des conservateurs] sur la défense de la vie et de la Liturgie et, le même jour, au souper, discutant avec Mgr Ysern et Mgr Rosa Chávez sur les communautés de base [les groupes de style soviétique promus par le mouvement de "théologie de la libération"] et les terribles barrières représentées par « les enseignements dogmatiques » de l’Église. Un jour, un ami du Cardinal Cipriani Thorne [l’Archevêque de l’Opus Dei de Lima] et le Cardinal Rodríguez Maradiaga [du Honduras], parlant de l’éthique des affaires et contre les idéologies du Nouvel Âge, et peu après un ami de Casaldáliga et Boff [les célébrités de la théologie de la libération], parlant de la lutte des classes. »

      La raison pour laquelle le professeur Rego de Planas a été perplexe était qu’elle est mexicaine. Si elle avait été argentine, elle aurait trouvé la technique parfaitement familière : elle a la note du péronisme classique. L’histoire raconte que Perón, dans ses jours de gloire, a une fois proposé d’induire un neveu dans les mystères de la politique. Il a amené le jeune homme avec lui pour la première fois lorsqu’il a reçu une délégation de communistes ; après avoir entendu leur point de vue, il leur a dit : « Vous avez tout à fait raison. » Le lendemain, il reçut une députation de fascistes et répondit de nouveau à leurs arguments : « Vous avez tout à fait raison. » Puis il a demandé à son neveu ce qu’il pensait et le jeune homme a répondu : « Vous avez parlé à deux groupes d’opinions diamétralement opposées et vous leur avez dit que vous étiez d’accord avec eux. C’est tout à fait inacceptable. » Perón répondit : « Tu as raison aussi. » Une anecdote comme celle-ci illustre pourquoi on ne peut s’attendre à ce que personne n’évalue le Pape François s’il ne comprend pas la tradition de la politique argentine, un phénomène extérieur à l’expérience du reste du monde ; l’Église a été prise par surprise par François parce qu’elle n’a pas eu la clé : il est Juan Perón en traduction ecclésiastique. Ceux qui cherchent à l’interpréter autrement manquent le seul critère pertinent.

      Pour toute cette complaisance générale, Omar Bello parle aussi de ceux qu’on appelait « les veuves de Bergoglio », des gens qui ont quitté leur travail, assis sur la chaise que le cardinal leur apportait et qui ont finalement été "punis" pour avoir pris trop de liberté. Cela peut être lié à un autre trait de caractère de Bergoglio, sa méfiance envers les gens. Pour ses collaborateurs, il était « aussi méfiant qu’une vache borgne »
(36), surtout en matière d’argent. C’est pourquoi il avait pris l’habitude de s’entourer de médiocrités qu’il pouvait dominer, phénomène observé tant dans son état-major archiépiscopal à Buenos Aires que dans la hiérarchie argentine dont il contrôlait les nominations. Bello ajoute : « Je mentirais si je disais que je ne connais pas de gens qui ont une peur profonde de lui, et qui se déplacent autour de sa personne avec une extrême prudence. La situation s’aggrava quand il partit pour Rome, et cessa d’appeler beaucoup de ceux qui croyaient qu’ils étaient ses amis. »

      Bergoglio n’était pas à l’aise avec les gens qui étaient en mesure de l’éclipser psychologiquement, intellectuellement ou socialement. Il était une recrue d’un niveau social inférieur à celui de beaucoup de ses compagnons de la Compagnie de Jésus, et dans la société de classe qui est l’héritage de l’Argentine de son passé oligarchique, cela a toujours été un handicap visible. Il s’y est attaqué en affectant une vulgarité exagérée (ce qui a entraîné les plaintes sur le langage grossier mentionnées dans le rapport Kolvenbach), alors que lors des grands rassemblements, il s’est fait un devoir d’ignorer les grandes perruques et de passer du temps à bavarder gentiment avec les nettoyeurs et les travailleurs manuels. On peut voir un mécanisme de défense similaire dans sa présomption d’un personnage simple et à la retraite qui était en fait un foyer de contrôle psychologique étroit.

(33) Omar Bello raconte cette histoire sans nommer le sujet, et affirme qu’il a été renvoyé en raison d’une indiscrétion sur la biographie de Bergoglio "El Jesuita" (voir "El Verdadero Francisco" https://gloria.tv/album/76VN81FZDJbK2uSHFW7kZmX3K/record/TybHHJ2FhS1f1bA4kEyjBvnCm , pp.36-37). Cela semble inexact ; le véritable motif du mécontentement de l’Archevêque est incertain.

(34) Bello, op. cit., p.34.


(36) "Desconfiado como una vaca tuerta" « Méfiant comme une vache borgne » : Bello, op. cit., p.181, et voir p.196 pour la prochaine citation.

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