Un
scandale dans les œuvres caritatives
Avant 2017, il
était apparu que les agences caritatives gérées par l’Association
Allemande, y compris Malteser International, distribuaient
clandestinement des préservatifs dans le cadre de leur travail en
Asie, en Afrique et ailleurs. C’était sous la responsabilité du
Baron Albrecht von Boeselager en tant que Grand Hospitalier, poste
qu’il a occupé jusqu’en 2014. Le Grand Maître Festing a ordonné
une enquête devant mener à la mise en place d’un comité
d’éthique sous la présidence du Cardinal Eijk ; c’est une autre
partie du travail de Fra Matthew qui a été interrompu. Le rapport a
été remis en 2016 et, d’après son compte rendu des activités de
préservatifs, il était clair que Boeselager devait répondre, sinon
en ayant lui-même commandé les programmes, du moins en ne les ayant
pas divulgués. Entre-temps, cependant, Boeselager avait été élu
au poste de Grand Chancelier, qui est celui de Premier ministre de
l’Ordre. Le Grand Maître voulait une procédure disciplinaire
contre lui pour ses actions en tant que Grand Hospitalier, et il
était soutenu en cela par le Cardinal Burke, qui était le Patron de
l’Ordre (152).
En novembre 2016, le Cardinal Burke a eu une audience avec le Pape François dans laquelle il a expliqué le scandale de la distribution de préservatifs et a demandé l’autorisation d’agir contre elle. Une lettre du Pape du 1er décembre semble accorder cette autorisation. Au sujet des préservatifs, il est dit : « On veillera particulièrement à ce que les méthodes et les moyens contraires à la loi morale ne soient pas employés et distribués dans les initiatives caritatives et les efforts de secours. Si, par le passé, des problèmes sont apparus dans ce domaine, j’espère qu’ils pourront être complètement résolus. Je serais franchement mécontent si, en fait, certains hauts fonctionnaires – comme vous me l’avez dit vous-même – tout en connaissant ces pratiques, notamment en ce qui concerne la distribution de contraceptifs de toute sorte, n’étaient pas intervenus jusqu’à présent pour y mettre fin. » (153)
Cela semblait être un signal pour aller de l’avant. Il y avait aussi des parties de la lettre qui reflétaient les expériences passées du Pape François avec l’Ordre en Argentine, un contexte qui doit être expliqué. L’histoire concerne les relations de Bergoglio avec le politicien argentin Esteban Caselli, qui était Chevalier de Malte et ambassadeur de l’Ordre ; associé à lui était l’Évêque Héctor Aguer, aumônier honoraire de l’Ordre. En 1997, lorsque la question d’un successeur du Cardinal Quarracino s’est posée, Aguer s’est classé avec Bergoglio comme l’un des évêques auxiliaires de Buenos Aires, et Caselli a utilisé ses liens avec le Vatican pour essayer de le promouvoir à l’archevêché de préférence à Bergoglio. Lorsque ce dernier a été nommé à la place, Caselli a tenté un geste de réconciliation en faisant en sorte que le gouvernement lui envoie un billet de première classe pour Rome lorsqu’il s’y est rendu pour recevoir le pallium, mais Bergoglio l’a rendu déchiqueté (154). Les manœuvres de 1997 n’avaient pas eu de nuance idéologique particulière (Aguer semblait être un candidat plus soigné et cultivé, mais pas sensiblement plus conservateur), mais pendant les quinze années suivantes, alors que Bergoglio se déplaçait visiblement vers la gauche, Caselli et Aguer sont apparus comme les figures de proue de l’opposition conservatrice à son égard. Le conflit a eu une recrudescence vers 2010, lorsque les mauvaises relations de Bergoglio avec le gouvernement Kirchner ont atteint un point tel qu’un groupe d’évêques et de laïcs a cherché à le remplacer en tant qu’Archevêque de Buenos Aires. Mgr Aguer n’était pas nécessairement l’alternative envisagée à cette occasion, mais Caselli, avec son influence au Vatican, était à nouveau le principal acteur laïc.
Ces événements
sur son sol natal avaient donné au Pape François une expérience
inhabituelle de l’Ordre de Malte. L’Ordre est une organisation
décentralisée, et sa politique (si l’on peut l’appeler ainsi) a
toujours été de créer une Association dans un pays et de la
laisser continuer à sa manière. Le résultat est que, dans une
grande partie de l’Amérique Latine, il a montré un caractère
ploutocratique, avec peu d’attention aux œuvres caritatives dans
lesquelles il brille ailleurs ; en d’autres termes, il représentait
le genre de catholicisme capitaliste de droite contre lequel la
rhétorique de Bergoglio était habituellement dirigée. Bergoglio
aurait également été au courant d’une autre caractéristique, le
scandale de la loge maçonnique italienne P2, qui a atteint son
apogée dans les années 1990 après que le leader de la loge a été
trouvé assassiné par des ennemis de la Mafia, tandis que son numéro
deux, le banquier Umberto Ortolani, a été emprisonné pour faillite
frauduleuse ; à part l’Italie, l’Argentine a été le pays où
P2 avait le plus répandu ses tentacules. Ortolani était un
Chevalier de Malte (ayant bien sûr caché son appartenance
maçonnique), et était en effet un ambassadeur de l’Ordre en
Amérique Latine. Ces méfaits passés aident à expliquer certaines
remarques de la lettre du Pape au Cardinal Burke qui n’avaient que
peu de pertinence par rapport à la question qui avait été soulevée
avec lui. Le Pape a fait allusion aux « manifestations d’un
esprit mondain qui sont contraires à la foi catholique » et a
mis en garde contre « les affiliations et associations,
mouvements et organisations » – c’est-à-dire la
Franc-Maçonnerie, qui avait toujours été une sorte d’abeille
dans le bonnet de Bergoglio. Ces références devaient être
transformées par certains journalistes dans un récit selon lequel,
en intervenant dans l’Ordre de Malte, le Pape François s’opposait
en réalité au catholicisme « mondain » représenté par
le Grand Maître, contrairement à Boeselager et à son parti. Comme
le suggère la description qui précède, rien ne pourrait être plus
éloigné de la vérité.
Armé de la lettre du Pape, le Cardinal Burke s’est présenté au siège de l’Ordre à Rome et a annoncé que le moment était venu de passer à l’action face au scandale du préservatif. L’idée initiale était d’engager une procédure disciplinaire contre Boeselager, ce qui aurait impliqué sa suspension pendant que les charges faisaient l’objet d’une enquête ; mais cela nécessitait une majorité des deux tiers au Conseil de l’Ordre, ce qui a été bloqué par le parti allemand. Le Grand Maître a donc choisi, dans un usage exceptionnel de son pouvoir de supérieur religieux, d’exiger la démission de Boeselager en vertu de la promesse qu’il avait prise comme Chevalier d’Obédience (une classe spéciale de l’Ordre, qualifiant un chevalier non-profès pour occuper les fonctions supérieures). Sur le refus de Boeselager, le 8 décembre 2016, le Grand Maître l’a renvoyé, techniquement pour violation de la promesse d’obéissance. Aucune revendication n’a été faite (comme certains l’ont prétendu plus tard) que le Pape avait explicitement ordonné le renvoi de Boeselager, mais sa lettre semblait garantir que le soutien du Pape était là pour l’action du Grand Maître.
(152)
Le Cardinal Patron est le représentant diplomatique du Pape auprès
de l’Ordre de Malte, tandis que l’Ordre nomme son propre
ambassadeur auprès du Saint-Siège.
(153)
Cette lettre et d’autres parties de la lettre papale ont été
publiées par Riccardo Cascioli dans La Nuova Bussola Quotidiana, le
2 février 2017.
(154)
Voir Austen Ivereigh, "The Great Reformer" (Le Grand
Réformateur), p.241.
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