vendredi 23 mars 2018

Le PAPE DICTATEUR par Marc-Antoine Colonna -46-

2) L’intervention dans l’Ordre de Malte

Divisions nationales entre les Chevaliers.
 
          « Ordre de Malte » est le nom donné aujourd’hui à l’ordre médiéval des Chevaliers Hospitaliers. Pendant cinq siècles, l’Ordre a gouverné successivement les îles de Rhodes et de Malte, c’est pourquoi ce dernier nom lui est donné dans l’usage courant. Bien que l’Ordre opère maintenant depuis Rome, ayant cédé Malte à Napoléon en 1798, la souveraineté qu’il a toujours (par une anomalie curieuse mais pleinement acceptée) a continué à être reconnue en droit international : le Grand Maître est un prince souverain, ses ambassadeurs accrédités dans plus d’une centaine de pays ont le même statut que ceux des autres États, et le siège de l’Ordre à Rome jouit d’un statut extraterritorial (150). Les chevaliers se consacrent aujourd’hui à leur tradition hospitalière et dirigent des agences caritatives dans le monde entier. Le noyau de l’Ordre est un petit nombre de chevaliers célibataires qui prononcent les vœux religieux, comme ils l’ont fait lorsqu’ils constituaient une élite combattante dans les Croisades, mais l’essentiel est constitué de Chevaliers d’honneur et de Dames, organisés en Associations Nationales. Il fut un temps où l’Ordre représentait l’apogée de l’exclusivité aristocratique, mais ce caractère s’est depuis longtemps dilué ; sa composition va de l’aristocratie stricte, comme on le voit encore dans quelques associations européennes, à des pays où il n’a aucun caractère nobiliaire.

      Le conflit qui a conduit le Pape François à forcer la démission du Grand Maître en janvier 2017 trouve son origine dans une rivalité nationale qui a atteint son paroxysme lors de l’élection précédente du Conseil de gouvernement de l’Ordre. D’un côté, il y avait l’Association Allemande, qui est de loin le plus riche des groupements nationaux de l’Ordre, recevant d’importantes subventions du gouvernement allemand ; elle est aussi très efficace et gère un certain nombre d’organismes caritatifs, dont Malteser International. C’était à la tête une bûche avec le Grand Maître, l’Anglais Fra Matthew Festing (151), dont le poste était un engagement à vie. Grâce à la mauvaise gestion électorale par les partisans du Grand Maître, et à l’efficacité correspondante de l’autre côté, l’élection de 2014 a placé les Allemands dans une position très forte au sein du gouvernement de l’Ordre : trois des dix membres du Conseil étaient originaires de ce pays (le Baron Boeselager, le Comte Esterhazy et le Comte Henckel von Donnersmarck), tandis que deux autres, tous deux nobles également, étaient des candidats du lobby allemand. De l’autre côté se trouvaient quatre conseillers qui étaient des partisans du Grand Maître, avec un dixième qui pourrait être appelé un électeur flottant. Cinq des membres du Conseil, en plus du Grand Maître, étaient des chevaliers profès.

      Le Grand Maître Festing était un Anglais insulaire qui, après avoir été appelé en Italie par son élection en 2008, n’avait pas fait beaucoup de progrès dans la langue, et encore moins dans la maîtrise du labyrinthe des cercles italiens et du Vatican. Bien qu’il soit issu d’une famille militaire distinguée, Fra Matthew n’était pas un aristocrate, et il se peut que ses manières modestes aient contribué à l’hostilité manifestée à son égard par certains Allemands. Fra Matthew était aussi un traditionaliste à part entière, en termes doctrinaux et liturgiques, tout comme deux ou trois de ses partisans au Conseil, ce qui, en soi, a provoqué un manque de compréhension entre les deux parties en ce qui concerne leurs perspectives religieuses. Ces derniers n’étaient pas tous des chevaliers profès, mais tous, contrairement aux cinq nobles du côté allemand, étaient des hommes de la classe moyenne qui s’étaient inspirés de la vocation religieuse séculaire de l’Ordre. C’est l’aspect que le Grand Maître a tenu à promouvoir, et pendant les neuf années de son mandat, il a pris des mesures pour renforcer la vie spirituelle de l’Ordre. Il publia des règles prescrivant des obligations religieuses plus strictes pour les profès, créa un Institut de Spiritualité, qui publia un Journal de Spiritualité en versements annuels, et commença des cours de formation pour les chevaliers et aumôniers profès, dont l’avenir (on ne peut que le dire) semble incertain sous la nouvelle direction. Lorsque Fra Matthew Festing prit le relais en tant que Grand Maître, il n’y avait qu’une trentaine de chevaliers profès, mais il renforça considérablement le groupe, l’élevant à une soixantaine de membres de différents pays – il est frappant de constater que, malgré l’insistance constante, aucun d’entre eux ne venait d’Allemagne. On peut ajouter que les chevaliers profès de nos jours sont pour la plupart non nobles, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles l’Association Allemande hautement aristocratique les regarde d’un mauvais œil.

(150) Un exemple de cela, dont le Vatican a profité, est donné par le cas de Monseigneur de Bonis : voir ci-dessus au chapitre 3.

(151) Le titre "Fra" indique les chevaliers profès des trois vœux.

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